Algérie - Voyage au bout du froid
Au moment où la wilaya de Tizi Ouzou enregistre un grand retard dans le raccordement au réseau du gaz naturel, la bonbonne de gaz butane se fait très rare au niveau de tous les villages. En cette période de grand froid, une tension dans la distribution du gaz butane est perceptible, ce qui a créé des désagréments au sein de la population.
Le froid, la tempête de neige, les routes coupées, etc., font que les citoyens vivent un véritable cauchemar.
La chronique hivernale est dominée par les inondations dans les centres urbains, où les ouvrages de drainage des eaux sont invariablement réalisés sans respect des normes.
Dans les montagnes, loin d’une urbanisation insidieuse, l’hiver est réduit à sa plus simple expression et la plus implacable : le froid. Dans les villages, le souci lancinant est de faire remonter la température sous le toit familial, pour sauver de la maladie les enfants et les vieux. Reportage dans la Kabylie qui grelotte.
La commune d’Aït Zikki culmine à 1500 m d’altitude, à plus de 80 kilomètres à l’est de Tizi Ouzou, aux limites de la wilaya de Béjaïa.
Les chutes de neige marquent un répit, sous un ciel gris et menaçant. La température est si basse que les montagnards, sanglés dans leurs burnous, ne traînent pas le pas dans la rue. L’ambiance n’est pas à la discussion, chacun est absorbé dans une lutte personnelle contre le froid. Même le dispensaire du chef-lieu ne nous ouvre pas pour nous enquérir des conditions d’accueil, notamment en maternité. Il faut sans doute frapper à l’appartement situé à l’étage. Ce n’est pourtant que le début de l’après-midi. Les rigueurs de l’hiver ont mis les gens d’Aït Zikki au chômage forcé. Kamal, la trentaine, n’a pas rejoint son poste à l’hôpital d’Azazga, à une quarantaine de kilomètres. Il a en poche une attestation communale certifiant que le concerné est dans l’impossibilité de rejoindre son poste « pour motif de route bloquée par la neige ».
Pour les employés du secteur public, le problème des absences ne se pose pas, mais la journée est perdue pour ceux du secteur privé. Dans cette localité montagneuse plus familière de la forêt que de la ville, la population ne s’est jamais départie de son recours au bois de chauffage. Elle n’est que très partiellement concernée par le commerce du gaz butane, encore moins par les projets improbables du gaz naturel. Le P/APC utilise l’expression « gaz de ville », comme pour marquer une distance avec cette énergie que l’administration jure de transporter jusqu’aux villages les plus reculés de la région.
Le maire est néanmoins étonné que sa commune soit la seule de la daïra à ne pas figurer dans le projet de raccordement au gaz naturel.
Le poste de détente du gazoduc se trouve à Bouzeguène, chef-lieu de daïra, à une vingtaine de kilomètres en contrebas. Un an après son installation, la nouvelle APC n’a pas encore réussi à connaître les raisons de cet oubli. Le P/APC éprouve soudain une curiosité à ce sujet. Il appelle devant nous le secrétaire général de la daïra. La voix lui répond que la demande a été transmise à la direction des mines de la wilaya de Tizi Ouzou et que la daïra est en attente d’une réponse. Vu l’inflation des programmes consignés au niveau de la wilaya, le nom d’Aït Zikki finira par apparaître un jour parmi les communes concernées par les projets de distribution du gaz naturel. Même si l’inscription d’une opération sera annoncée par les autorités, les gens d’Aït Zikki savent qu’ils doivent compter sur leurs bras pour chauffer leurs maisons.
« La forêt nous appartient, il n’y a que les roches qui appartiennent à l’Etat », lance un jeune homme au village Iguer Amrane, à 2 kilomètres du chef-lieu de la commune.
L’industrie du bois
« Le gaz butane, c’est uniquement pour la cuisine. Cela revient cher avec une bouteille qui coûte 240 ou 250 DA », estime-t-on sur les sommets d’Aït Zikki. La coupe du bois enraye le froid pour l’ensemble du village, mais cela n’a créé que 5 ou 6 emplois. Des jeunes qui ont acquis des tronçonneuses et qui se font rémunérer 500 DA l’heure pour abattre des arbres et les découper en morceaux.
Une activité qui commence à clairsemer la colline, mais qui est vitale pour les villageois. Un à deux arbres par famille et par saison, et des frais de coupe autour de 3000 DA. Les jeunes affectés à cette besogne sont si sollicités qu’ils s’oublient parfois sous la chute des arbres. Un jeune de 22 ans a eu la jambe cassée par un chêne, il y a une quinzaine de jours. Il a été transporté à l’hôpital de Tizi Ouzou par les moyens propres du village. Il n’y avait pas d’ambulance à Aït Zikki, à Bouzeguène et à Azazga. A l’hôpital de Tizi Ouzou, il n’y avait pas de place pour être admis au bloc opératoire. Il a fallu insister pour soigner au CHU le jeune coupeur de bois, pour lequel aucune assurance ne répondra. Mais une jambe cassée n’est rien devant une urgence de maternité au milieu d’une tempête de neige. C’est le vrai cauchemar des montagnards.
Ils sont seuls face à la rudesse de la nature. Il n’y a ni maternité chauffée ni ambulance, et souvent pas de route carrossable. La population locale garde le traumatisme de l’hiver 2005, lorsqu’elle a été bloquée par la neige pendant 12 jours avant l’arrivée des engins de déneigement de l’ANP. Les autorités semblent avoir tiré quelques leçons. Elles ont compris qu’il est plus facile de déneiger en descendant de la colline qu’en remontant de la vallée. La commune vient de bénéficier d’un camion chasse-neige affecté par la wilaya, une dotation qui ne satisfait pas les jeunes.
Engins de déneigement ou antiémeute ?
« Ce ne sont pas des chasse-neiges, mais des engins qu’utilisent les services de sécurité pour dégager les routes lors des émeutes.
On voit qu’ils laissent une bonne couche de neige après leur passage », lâche-t-on du côté des jeunes. La commune dispose, en outre, d’un tracteur doté d’une pelle ainsi que d’un rétrochargeur qu’il a fallu payer 700 millions de centimes prélevés sur le budget du développement communal. On critique aussi l’organisation par la commune des sorties de ses trois engins de déneigement. « Le camion arrive à 8 h ou 9 h du matin, alors que la route doit être dégagée à l’aube pour permettre aux gens de partir à leur travail », fait remarquer un villageois d’Iguer Amrane.
Le maire reconnaît que le planning gagnerait à être amélioré et que cela sera possible avec le recrutement prochain de deux conducteurs d’engins. La commune est constituée d’une dizaine de villages, pour une population de 4000 habitants. « C’est une commune pauvre où il faut être riche pour pouvoir y survivre. Seuls les retraités de France s’en sortent, ceux d’ici ne peuvent même pas payer leurs médicaments », conclut un jeune d’Iguer Amrane. Interrogé sur ce que la commune attend des pouvoirs publics, le maire revient immanquablement sur les conditions de transport. Pour les malades, en priorité.
« Nous avons demandé une ambulance tout-terrain afin de pouvoir évacuer les urgences en période hivernale », dit le P/APC. L’administration locale a été saisie à ce sujet il y a quelques années. En lieu et place d’une ambulance, une clinomobile avait été envoyée deux ou trois fois avant de rejoindre durablement sa base à Tizi Ouzou. Un besoin de transport se fait également sentir en faveur des scolarisés. « Nous avons formulé une demande auprès de la solidarité nationale et de la wilaya pour deux bus de transport scolaire.
La commune dispose d’un seul bus qui transporte uniquement les filles au lycée de Bouzeguène. Les garçons déboursent 70 DA par jour pour aller en classe », ajoute le maire. Il cite également l’extension de l’électrification : « Nous comptons dans la commune une cinquantaine de foyers qui attendent l’électricité. La direction des mines prend en charge uniquement des groupes de 10 maisons, alors que les foyers concernés à Aït Zikki sont éparpillés à travers les villages. » La requête du courant électrique est vivement appuyée par les élus locaux. Quant au « gaz de ville », il est déjà oublié…
Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com
D'apres El Watan. www.elwatan.com. Par Djaffar Tamani. Le 18 Decembre 2008.