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Algérie - « C’est mon père qui m’a montré le chemin »

Sid Ali Nous avait prévenus. Sid Ali est un type bien, bon vivant et qui n’a pas la langue dans sa poche. Et puis, ce qui ne gâte rien, il a un art consommé de raconter les êtres et les choses. Il a ce regard lumineux qui sait vous transporter en d’autres lieux, dans sa machine à remonter le temps. Les traits de son visage se dessinent en fonction des événements heureux ou douloureux qui ont marqué sa vie.

A son domicile où il nous a reçus, on a tout de suite perçu son goût pour la lecture à travers une riche bibliothèque, où les livres traitant de l’histoire de l’Algérie se taillent la part du lion. « La lecture est mon hobby et dévorer un livre est devenu pour moi un acte mécanique », confesse-t-il tout en nous montrant les divers ouvrages ornant les étagères qu’il conserve jalousement.

De son récent voyage aux Amériques, il a ramené trois livres qu’il a tenu à nous présenter. Ben Laden, l’insaisissable, Ghandi ou l’éveil des humbles de Jacques Attali et La 4e Guerre mondiale, de Thierry Wotton qui traite en gros de l’intégrisme islamiste. C’est dans le miroir qu’on voit son meilleur ami, dit le vieil adage et Sid Ali s’est confié à nous, sans chichi ni protocoles, en nous contant les étapes d’une vie mouvementée, où il a appris qu’il faut nécessairement se courber pour ramasser. Bouzourène Sid Ali est né le 14 septembre 1931 à Alger.

Son père, Mohamed, membre de l’Etoile nord-africaine et militant nationaliste, connu à La Casbah, était matelassier tapissier à la rue Rovigo, chez M. Barboteux, qui ne le traitait pas toujours avec le respect qu’il méritait. « Exploité, mon père avait une haine contre eux et ne pouvait admettre les injustices et les brimades. »

A chaque jour suffisait sa misère. Et Sid Ali s’insurge pour dire tout le mal qu’il pense de la manière dont ont été humiliés son paternel et ses semblables. Sid Ali est né à l’impasse Kléber à La Casbah, sous l’œil bienveillant et protecteur de Sidi M’hamed Cherif. En 1931, « année de l’éveil de la conscience nationale, du moins de son affermissement avec un regain des activités nationalistes et l’émergence de l’association des oulémas… » Il fait sa scolarité à Sarrouy, mais tardivement, en raison des séquelles d’une méningite cérébrale qu’il traînait depuis l’âge de 4 ans. Il n’y fera pas de vieux os, à cause du débarquement des alliés qui réquisitionnent l’école au début des années 1940.

A 11 ans, il est apprenti bijoutier à La Casbah chez un pied-noir. « Au-dessus du magasin, il y avait une chambre où se réunissaient les principaux responsables des Boys scouts algériens. J’y ai fait la connaissance de Abderrahmane Aziz, de Mohamed Niha, de Youcef ‘’l’Amérique’’ et bien d’autres auprès desquels j’ai appris beaucoup de choses. » L’école Sarrouy ce creuset En 1944, Sid Ali signe à la JSMA, club créé par son père et Saïd Barabas et dont l’un des dirigeants les plus en vue était Hiddouche Bouzrina.

« Je n’y ai pas beaucoup joué, car je n’avais pas les qualités requises. » Le café rue de La Casbah, tenu par son père, était le lieu de rendez-vous idéal pour la jeunesse du quartier. Des hommes mûrs y faisaient aussi un brin de causette comme Ferhani, Tameur. « C’est ce dernier qui m’a fait entrer au PPA en 1945. Je faisais du scoutisme au sein du groupe Ijtihad et de la politique au parti.

Les événements de Mai 1945 m’avaient profondément choqué. Cela a renforcé mes convictions de lutte contre toutes les tyrannies. Le parti s’offrait comme le cadre idéal pour exprimer ma colère et mon indignation contre le colonisateur qui a redoublé de férocité après la fin de la Seconde Guerre, alors qu’on pensait que l’heure de la liberté avait sonné. » Sid Ali milite à la cellule de Bir Djebah aux côtés de Omar Gaïtouchet et Hadj Ali Ali qui seront arrêtés lors de la campagne des élections de l’Assemblée algérienne en 1948.

Ils seront incarcérés durant onze jours. Après, Sid Ali reçoit l’ordre de rejoindre la permanence du MTLD à la place de Chartres avec Mohamed Zinet. Un jour, le chef de cellule, Hadj Ali Ali est venu nous annoncer l’exclusion du parti de mon père Mohamed dit Petit, et son ami le Dr Debaghine « pour déviationnisme », soi-disant en liaison avec la crise berbériste. Certes, mon père avait des sympathies pour les dirigeants protestataires, mais je crois que c’était là un prétexte, parce que aussi bien mon père que le Dr Debaghine avaient osé dire leurs vérités et critiquer ouvertement Messali.En 1952, Sid Ali est appelé sous les drapeaux. La guerre du Vietnam battait son plein.

Il était insoumis, il est embarqué avec 14 camarades d’Alger manu militari dans un wagon à bestiaux en direction de la caserne des tirailleurs de Miliana. « Il y avait avec nous 350 jeunes ramenés de Djelfa. Au bout de 15 jours, sur les 15 Algérois, 14 ont été réformés, sauf Issolah qui se trouvait être le neveu du capitaine Belkhodja, devenu par la suite général dans l’armée française. Au cours de cette péripétie, je m’étais lié d’amitié avec Ali El Hadi, qui habitait dans le même immeuble que Mustapha Fettal, qu’il m’avait présenté.

Un homme courageux, pieux et d’une grande qualité. » Sid Ali retourne exercer son métier de bijoutier joaillier à la rue des Tanneurs, tout en militant, mais la scission du parti l’avait bouleversé. « On est restés neutres face aux centralistes qui avaient leurs défauts et les messalistes aveuglés par leur ignorance et leur culte de la personnalité. Ils vénéraient le zaïm sans se poser de questions », consent-il à dire sans vouloir trop s’étaler sur cet épisode. Ce chapitre est clos, indiquent ses yeux. Au fur et à mesure de la discussion, Sid Ali respire et se déverrouille. Il est vrai qu’il a tant de choses à dire. Humble et modeste Humble, modeste, Sid Ali égrène les étapes sans en rajouter. Avec un œil moqueur et un sourire féroce, il avoue que lui et ses camarades avaient perdu les contacts. Le déclenchement de la lutte, c’était une surprise pour eux.

« On se mordait les doigts. » Alors que son père était responsable politico-militaire, secondé par Mohamed Touileb, Sid Ali comptera sur son ami Ali El Hadi, déjà impliqué dans la révolution, pour y entrer en janvier 1955 avec ses amis Youcef Biroum, joueur chevronné de basket à l’USMA, et Youcef Hassena, commis greffier au tribunal d’Alger. Sid Ali sera agent de liaison du CCE et connaîtra des chefs hiérarchiques exceptionnels, comme Chergui Brahim, chef politique de la Zone autonome, ou encore son responsable direct Chaïd Hamoud, qui sera par la suite affecté à la Wilaya VI. Sid Ali s’étalera sur la grève des 8 jours et son impact sur la suite des événements, en n’omettant pas sa rencontre avec Germaine Tillon, l’ethnologue qui deviendra son amie. Elle faisait partie d’une commission de sauvegarde internationale envoyée en Algérie pour enquêter sur les prisons, les camps de concentration, etc.

« C’est Mlle Hamdikan, maître-assistante à l’université d’Alger, militante et son ancienne élève à Paris, qui nous avait mis en contact. Germaine avait été marquée par son séjour dans les Aurès. Elle habitait avec les autochtones et se déplaçait sur une mule. Elle s’était vite adaptée au mode de vie local. Lorsqu’elle était à Alger, c’est moi qui l’accompagnais, car elle me faisait confiance. A La Casbah où elle passait la nuit, c’est Ali la Pointe qui assurais sa protection. Je me rappelle qu’aux généraux, elle avait dit : ‘‘Les Algériens ne sont pas des assassins, mais des résistants. Cela me rappelle ma jeunesse.’’ Elle a harcelé de Gaulle qui a fini par gracier 181 condamnés à mort, parmi eux Mustapha Fettal et Yacef Saâdi. J’allais chez elle à Vincennes où elle possédait un pavillon. Elle a eu la reconnaissance des siens et des Algériens. C’est vous dire. »

Sid Ali écopera en 1960 de 20 ans de travaux forcés… Ami de Tillon et Verges Sid Ali a aussi connu Verges lors de l’arrestation de Djamila Bouhired. J’étais son contact ici. A la création de Révolution Africaine, dont il était le directeur, j’occupais le poste d’administrateur général de la revue. Il y avait des journalistes de talent comme Gérard Chalion, Juliette Mensens, Chatin, Georges Arnaud et bien sûr Djamila Bouhired et Zhor qui étaient dans le comité de rédaction. Comme Verges ne voulait pas aller dans le sens du poil de Ben Bella, les partisans de ce dernier ont voulu le salir. On a même dépêché une équipe pour contrôler les finances, mais elle a constaté que tout était en règle !

Comme il ne pouvait rester, on a fait partir Verges au Maroc, remplacé à la tête de la revue par Mohamed Harbi. En ma qualité de détaché des affaires étrangères, le ministère n’a pas trouvé mieux pour me punir que de m’envoyer au Congo, où j’ai ouvert l’ambassade d’Algérie à Kinshasa. J’avais acheté le siège pour 20 millions de centimes chez une vieille dame belge. Les experts l’avaient estimé à l’époque à 10 fois plus. Je suis resté 18 mois là-bas. J’ai fini par démissionner. » En 1964, Sid Ali rentre à Alger où Rabah Bouaziz, préfet, lui confie la direction des biens vacants qu’il quitte après un passage de 4 mois.

Le coup d’Etat de 1965 l’éloigne de la politique. Avec ses amis Chaïd et Fettal, ils ouvrent le salon Le Lotus près de la Faculté d’Alger. Ils y resteront pendant une vingtaine d’années. Toujours avec son masque chaleureux, Sid Ali a tellement de choses à dire pas spécialement sur sa personne en parlant souvent plus des autres, qu’une simple rencontre s’avère insuffisante. Il change de ton et son visage s’assombrit lorsqu’il évoque les années troubles du terrorisme, où il a été profondément marqué par l’assassinat, en septembre 1997, à la fleur de l’âge de son fils Abdelkader, pharmacien à Aïn Benian. Mais ce qui le chagrine le plus, c’est que l’administration l’a tué une seconde fois, en décrétant la non-reconnaissance de son officine, pourtant toujours en activité.

Rien qu’à l’évocation de ce sujet, Sid Ali en tombe malade. « Je suis en guerre contre eux, j’ai gagné mes procès. Mais jusqu’à quand vais-je lutter ? Je suis fatigué, je n’en peux plus... » Son appréciation sur le pays est sévère. « C’est un drame de voir l’Algérie dans cet état où les politiciens magouilleurs sont partout. Pourtant, il suffit de faire confiance à des hommes neufs, intègres et compétents, seuls capables de sortir le pays de cette mélasse. Un pays qui n’attire plus ses enfants est un pays malade. Ne faut-il pas se demander pourquoi les meilleurs sont partis ailleurs ? Je ne désespère pas pour autant. Je suis quand même optimiste, car le peuple algérien est capable de miracles. » A la fin, toujours intarissable sur le sujet, il ose cette question : « Qu’est-ce que je ne vous ai pas encore dit ? » L’essentiel condensé sûrement.

Quant au reste, il a y a tellement de choses à dire… Et puis, on vous le disait au début, Sid Ali est un sacré parleur. Parcours Sid Ali Bouzourène est né en 1931 à La Casbah d’Alger, où il a grandi. Apprenti bijoutier, il s’éveille à la conscience nationale très jeune, puisque à 17 ans, il est déjà dans le PPA, où il milite sans discontinuer. A l’avènement de la lutte de libération en 1954, il intègre la révolution pour poursuivre « sa mission sacrée », comme il le dit si bien. Il sera au cœur des luttes à La Casbah d’Alger. Il est arrêté à plusieurs reprises et condamné à 20 ans de travaux forcés en 1960. A l’indépendance, il exerce à Révolution Africaine Avec Verges puis ouvre l’ambassade d’Algérie au Congo. Au milieu des années 1960, il se retirera complètement de la politique et se consacrera à sa famille.

Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com

D'apres El Watan. www.elwatan.com. Par Hamid Tahri. Le 18 Decembre 2008.

 

 

 

 

 

 

 

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